En 2017, deux filles de Doris Spinat ont contacté notre centre de documentation. Elles ont fait don d’une étonnante collection de photographies à Kazerne Dossin, dont nous prenons aujourd’hui le plus grand soin. La commémoration du départ du transport XXIV est la meilleure opportunité de faire connaître l’histoire touchante de ces photos jaunies et à travers elle, l’histoire tragique de cette famille.
Sauf que cette famille, parce que juive, a été dévastée par la Shoah.
Pinkas Spinat est né en 1896 à Łańcut, en Pologne. Il exerce la profession de marchand de laine. En 1922, il épouse Sara Goldstein, née en 1898 à Kołomyja. Après avoir vécu en Pologne pendant de nombreuses années, le couple s’installe à Francfort, où naissent ses quatre enfants, Frieda (1923), Meta (1925), Leo (1927) et Doris (1930).
Mais la situation en Allemagne devient rapidement intenable pour cette famille juive polonaise. Pinkas Spinat tente d’acheter des faux papiers pour quitter le Reich, mais il est repéré par les nazis. Recherché pour délit de devises, lui et sa famille parviennent à quitter Francfort pour se réfugier au Luxembourg en 1937. En octobre, Pinkas Spinat fait les démarches pour obtenir une autorisation de séjour en Belgique. Il souligne le fait qu’il dispose de suffisamment d’argent pour permettre à sa famille de vivre sans dépendre d’aucune aide étatique ni exercer aucune activité économique, ce qui lui est de toute façon interdit en Belgique. En décembre 1937, il obtient son permis de séjour temporaire.
La famille s’installe à Anvers, Simonsstraat, 28, elle conclut un bail pour son logement, Pinkas achète des meubles et investit une partie de ses avoirs dans des bons d’état et des sociétés belges, les enfants vont à l’école… Pourtant, tous vivent dans l’incertitude d’être expulsés du territoire belge.
En juillet 1938, Pinkas et Sara obtiennent leurs cartes d’identité d’étrangers, renouvelables tous les deux ans.
En mai 1940, lors de l’invasion allemande, Pinkas, Sara et les enfants prennent la route de l’exode. Arrivés à Calais, l’entrée au Royaume-Uni leur est refusée en raison de leurs passeports polonais. En juin 1940, tous regagnent leur domicile à Anvers.
Le 26 août 1940, l’occupant arrête Pinkas Spinat à Mons et le transfère à la prison de Francfort, pour interrogatoire, où il reste jusqu’au 7 février 1944. Ce jour-là, il est envoyé à Auschwitz. Le 22 juillet 1941, les autorités de la ville le considèrent « parti sans laisser d’adresse » et le rayent d’office du registre des étrangers. Sara reste seule à Anvers avec ses enfants.
La famille se conforme aux ordonnances antijuives. Suite à l’obligation faite aux Juifs de plus de 15 ans de s’inscrire dans le registre des Juifs, décret daté du 28 octobre 1940, Sara Goldstein se déclare auprès des autorités de la ville. Dorénavant chef de famille, ses enfants sont enregistrés sur sa fiche personnelle.
La fiche du registre des Juifs d’Anvers établie au nom de Sara Goldstein. Cet enregistrement était réalisé par des fonctionnaires de l’administration de la ville
Un cachet « JOOD-JUIF » a été ajouté sur la fiche du registre, en conséquence à la décision prise en juillet 1941 de Gerard Romsée de marquer les cartes d’identité des Juifs. Ces documents rendent les Juifs identifiables et s’avèrent terriblement dangereux lorsque l’occupant entame sa politique génocidaire.
Le 27 mai 1942, l’occupant met un point final au statut des Juifs : dès qu’ils atteignent l’âge de 6 ans, tous doivent porter une étoile en tissu jaune sur le côté gauche de leur vêtement. A Anvers, ces étoiles sont distribuées par les fonctionnaires de la ville. Une fois de plus, dans un geste administratif, ils ajoutent un cachet en forme d’étoile à l’encre mauve sur la fiche du registre et sur la carte d’identité.
La vie est rythmée par les nouvelles mesures antijuives, par les mauvaises nouvelles, par les tracasseries administratives, par l’humiliation de paraître en public avec le signe d’infamie. Les fonctionnaires belges sont zélés : le 16 juillet 1942, jour de l’anniversaire de Leo Spinat, la Police belge des Étrangers lui crée un dossier, dans lequel il est clairement identifié comme juif.
Le lendemain, Leo Spinat récupère sa première carte d’identité sur laquelle on retrouve les cachets de son inscription au registre des Juifs, de son identification comme juif et du retrait de son étoile jaune.
Au cours de l’été 1942, Frieda, Meta et Leo reçoivent une convocation pour travail forcé, l’Arbeitseinsatzbefehl. Leo, malade, reste à la maison. Les jeunes filles se présentent à la caserne Dossin à Malines le 27 août 1942. Deux jours plus tard, elles sont déportées à Auschwitz-Birkenau par le Transport VI. Les archives du camp d’Auschwitz gardent la dernière trace de Frieda : le 17 septembre, 18 jours après son arrivée au camp, un médecin SS établit son acte de décès. Frieda Spinat n’avait que 19 ans.
Meta, déportée à 17 ans, n’a pas survécu. Sans archives qui pourraient nous renseigner sur son sort précis, la date, le lieu et les circonstances de sa mort, Meta fait partie des « disparus de la Shoah ».
À l’automne 1942, Sara, Leo et Doris entrent dans la clandestinité. Ils partagent une cachette avec d’autres hommes, femmes et enfants juifs. En février 1944, tous les Juifs qui se cachaient à l’adresse sont arrêtés. L’employé venu relever les compteurs de gaz a remarqué la quantité anormalement élevée du gaz consommé dans cette maison et a alerté les autorités. Les conséquences de cette dénonciation sont tragiques.
Doris, 13 ans et sept autres enfants sont été envoyés dans un orphelinat juif sous contrôle de l’Association des Juifs de Belgique (AJB). Les adultes, dont Sara et Leo, sont conduits à la caserne Dossin et enregistrés sur la liste du Transport XXIV. Mère et fils y sont identifiés par les numéros 205 et 206. Le 4 avril 1944, des wagons de marchandises les emportent à Auschwitz-Birkenau. Trois jours plus tard, 624 passagers débarquent sur la Judenrampe et y subissent la sélection. Deux-cent soixante-neuf d’entre eux sont immédiatement assassinés dans les chambres à gaz-crématoires de Birkenau. La trace de Sara Goldstein se perd. On ignore quel a été son sort à l’issue de la sélection.
Leo, alors âgé de 16 ans, considéré apte au travail, vient grossir la population de forçats du camp de concentration. Il tient le coup pendant plus d’un an. Libéré mais terriblement affaibli et souffrant d’une tuberculose aiguë, il est soigné dans un hôpital de Cracovie. C’est là qu’il succombe le 31 mars 1945, dans les bras de son père qui l’a retrouvé. Pinkas Spinat, déporté de la prison de Francfort le 7 février à Auschwitz-Birkenau, a aussi abouti dans cet hôpital pour s’y rétablir. Leo est enterré dans un cimetière de Cracovie.
Pinkas Spinat, het enige gezinslid dat de deportatie overleefde, keert terug naar België waar hij zijn enige overlevende kind, Doris, terugvindt. Het meisje is na haar arrestatie in verschillende officiële weeshuizen geplaatst, waaronder de kindertehuizen in Wezembeek-Ophem en home “Là-Bas” in Aische-en-Refail. Geconfronteerd met het dreigende gevaar van de complete liquidatie van de gehele joodse bevolking in België in augustus 1944, worden de weeshuizen van de Jodenvereniging geëvacueerd. Doris duikt onder in Peruwelz bij de katholieke familie Goffinet.
Une amie belge et non-juive de Sara Goldstein leur a restitué l’album de photos et les objets religieux qu’elle avait soigneusement conservés. Sara lui avait confié le tout avant de passer dans la clandestinité. Cette amie tenait une petite épicerie non loin de la maison où vivait la famille Spinat. Elle a continué à vendre de la nourriture et d’autres produits de première nécessité à la famille Spinat, en dépit du danger et des mesures antijuives. Elle a également rendu visite à Doris à l’orphelinat après la déportation de Sara Goldstein. Malheureusement, le nom de cette personne nous est inconnu. Doris a emporté la plupart des photos avec elle en Israël en 1949.
Nous remercions ses filles de cette précieuse donation, qui nous permet aujourd’hui de commémorer ses déportés et ses survivants.