Le 21 janvier 1944, Valentine Zaslavsky et ses parents, Itskhok Zaslavsky et Esther Frisch, sont arrêtés à Laeken, par les hommes de la Sipo-SD aiguillés par le dénonciateur Jacques.
Amenés au siège de la Sipo-SD, à l’avenue Louise, Valentine et ses parents ne passent qu’une nuit dans les caves avant d’être envoyés à la caserne Dossin. Là, ils ne subissent aucun mauvais traitement.
Dans l’une de ses dépositions contre Max Boden, le responsable de la Aufnahme, le bureau d’enregistrement du camp, elle relate son arrivée à la caserne Dossin :
« À mon arrivée à Dossin, j’avais encore tous mes objets, rien ne m’avait été enlevé à l’avenue Louise. J’étais avec mes parents, nous étions un groupe de 30 personnes alignées dans la cour. FRANK nous a demandé si nous étions ‘Jude’. Ensuite à la AUFNAHME tout m’a été enlevé. J’y ai vu BODEN qui regardait si tout allait bien. BODEN était le chef. On a même enlevé à maman un objet appartenant à mon jeune frère qui allait être enterré le lendemain ».
Car deux jours plus tôt, un premier drame a frappé la famille Zaslavsky : le jeune frère de Valentine, Henri meurt des suites d’une maladie de cœur aggravée par une pneumonie. Les Zaslavsky n’en sont qu’au début de l’horreur. Dès les premières minutes passées dans le camp de rassemblement, ils sont traités avec brutalité, sans égard pour la douleur suscitée par la perte d’un fils ou d’un frère. Itskhok Zaslavsky est déjà battu à la Aufnahme, pour n’avoir pas avoué assez rapidement qu’il était juif.
Après avoir passé la première fouille, celle des sacs et des effets, les nouveaux internés doivent passer dans le bureau de la Brüsseler Treuhandsgesellschaft, où s’achève la spoliation des biens. Les Juifs doivent y remettre les clés de leur logement et signer, sous la contrainte, un document cédant leurs biens mobiliers aux nazis. Dans cette partie de la Aufnahme, isolée des bureaux par un simple paravent, une fouille corporelle plus ou moins poussée est menée. Plus l’homme est religieux, plus la femme est jolie, plus l’examen corporel sera poussé.
Valentine Zaslavsky témoigne de ce moment dégradant et humiliant :
« Lorsque je suis arrivée à la caserne Dossin, j’ai dû, après avoir été dépouillée de mon argent et de mes bijoux, passer un examen corporel devant un SS répondant au surnom de PFERDEKOPF. Ma mère a passé cet examen en même temps que moi. J’ai dû me dévêtir entièrement. Le SS m’a examinée sous tous les angles, il m’a fait lever les bras notamment. Il n’a cependant pas porté la main sur moi. »
La violence se déchaîne dès que quelqu’un résiste ou tente de dissimuler un objet :
« Ma mère a été giflée parce qu’elle avait caché une bague dans son corset. Je n’ai pas été visitée dans mes parties intimes, j’ai dû juste lever les bras. »
Ainsi se passent les premiers moments à la caserne Dossin. Les détenus y sont brisés moralement et physiquement dès leur arrivée. Une fois sortis de la Aufnahme, ils sont dépossédés de leurs biens, mais aussi de leur humanité. Le numéro du transport ainsi que celui qui leur est attribué sur la liste de déportation forment leur nouvelle identité. Valentine Zaslavsky devient le XXIV/135.
Pendant leur internement au camp de rassemblement, la reine Élisabeth est sollicitée, mais la demande reste sans suite. Le Palais n’intervient que pour les Juifs de nationalité belge et parfois pour des femmes enceintes, des nourrissons, des personnalités… mais pas pour une simple famille apatride d’origine russe…
Dans le cadre du procès de Max Boden, des photos de SS allemands lui sont montrées pour identification :
« Vous me soumettez les photos de sujets allemands. Je reconnais parmi ces photos, ceux que vous nommez être FRANK Johannes, et BODEN, [Max]. Le premier était commandant en premier de la Caserne Dossin et le second était commandant en second. […] Personnellement, je n’ai pas été maltraitée par les personnes que je vous signale, mais été indirectement maltraitée par les ordres qu’ils donnaient. »
La jeune fille saisit parfaitement la répugnance de ces SS allemands à avoir des contacts directs avec les détenus, raison pour laquelle ils recourent à l’assistance brutale des SS flamands. Durant ces deux mois et demi de détention, Valentine Zaslavsky a le temps de comprendre le fonctionnement et la hiérarchie du camp.
« Frank, notamment vivait comme un « pacha », il avait pris parmi les détenus des domestiques, secrétaires, des gardiens pour ses chiens. Il avait deux chiens qui étaient soignés comme des rois. »
Valentine résume parfaitement son vécu à Malines dans quelques dépositions faites contre les SS de Malines. Confrontée à la faim qui règne à Dossin, elle compte sur des aides extérieures et déplore que
« Les colis nous envoyés par des amis ou famille, ne nous parvenaient que délestés de la meilleure partie. Frank s’opposait également à la remise des colis s’il avait la moindre remarque à faire sur un détenu. »
Elle témoigne encore des mesquineries et des mauvais traitements infligés aux internés de la caserne Dossin :
« Concernant BODEN, Max, celui-ci était un sadique. Il nous promettait que nous pouvions avoir de la visite si nous restions dans la cour, dans la neige pendant deux heures. Je l’ai fait moi-même, alors qu’il y avait 5 centimètres de neige. Nous devions rester immobiles et BODEN nous abreuvait d’injures. Par après, il nous disait que nous ne pouvions recevoir de visites ce jour-là et nous renvoyait. Pendant le temps que nous étions dans la cour, il jetait des pierres à la tête des détenus, les faisait poursuivre par son chien et principalement après les jeunes filles. »
La jeune femme est évidemment consciente de la vulnérabilité particulière des femmes et des filles dans le camp :
« Ce PFERDENKOPF venait souvent dans le lavoir pour voir si les femmes se lavaient sans vêtements. Celles qui en portaient étaient obligées de se déshabiller. Ceci était accompagné de violences. Ce même PFERDENKOPF nous arrosait au moyen d’une lance d’arrosage. »
Valentine Zaslavsky et ses parents embarquent le 4 avril 1944 à bord d’un wagon de marchandise du Transport XXIV. Le voyage est harassant, dans les wagons, l’on manque de tout : d’air, d’eau, de place… Le 7 avril, les 624 déportés débarquent sur la Judenrampe, située entre Auschwitz et Birkenau. C’est le dernier convoi de Malines à faire halte en ce lieu. Les SS chargés de la sélection ont vraisemblablement jugé Itskhok Zaslavsky, 57 ans et Esther Frisch, 51 ans, inaptes au travail. C’est la dernière fois que la jeune femme voit ses parents.
Séparée de ses parents et placée dans l’autre file, Valentine Zaslavsky, âgée de 19 ans, est mise au travail forcé à Birkenau. Le numéro de matricule 76 737 a été tatoué sur son bras l’identifie désormais.
Valentine reste quelques mois à Birkenau, avant d’être évacuée le 18 janvier 1945 vers Ravensbrück et ses Kommandos, Malchow et Taucha. Le 13 avril 1945, elle est évacuée de Taucha. Le 29, elle est libérée en route, à Streumen, à 80 kilomètres de Taucha. Le 3 juin 1945, elle est rapatriée en Belgique. Elle délivre plusieurs témoignages très importants à charge de Max Boden.
Le procès de Max Boden est le seul qui traite exclusivement des actes commis à la caserne Dossin. Il n’a lieu qu’en 1950. D’abord condamné par le Conseil de guerre de Bruxelles à douze ans de travaux forcés, il fait appel. Comme circonstance atténuante, il invoque qu’il n’a fait qu’obéir aux ordres de ses supérieurs. Sa stratégie de défense fonctionne bien : en décembre 1950, sa peine est réduite à huit ans de réclusion. Le verdict est une longue énumération de coups et blessures, attentats à la pudeur et complicité dans un homicide survenus à la caserne Dossin. Son rôle dans la déportation des Juifs n’a pas été pris en compte. Il retrouve sa liberté en mars 1951.
Valentine Zaslavsky se reconstruit lentement. Le 27 mai 1950, elle épouse Arje Lejb Miedzianogora. Le 14 octobre, elle donne naissance au petit Yves.
Aujourd’hui, j’ai souhaité mettre son histoire en lumière, comme un hommage aux 87 survivantes du Transport XXIV.