Né à Metz le 26 août 1925, Stevo Caroli est le fils de Joseph Karoli et d’Elisabeth Warsha. Il exerce les professions itinérantes de vannier et de marchand de chevaux. Il circule fréquemment en Belgique et dans le nord de la France. Le 21 août 1941, il est contraint de quitter le territoire. Il lui est interdit de se joindre à d’autres groupes de « nomades ». Par mesure de sécurité, les zones côtières (les provinces d’Anvers et des deux Flandres) sont aussi interdites aux gens du voyage, suspectés d’espionnage.
Dans le même document, considérant alors les « Tsiganes » comme une population criminogène, les autorités le somment de se présenter dans un commissariat afin de se faire photographier et dactyloscopier. Cette pratique policière est à l’époque réservée à l’identification et au fichage des criminels. Stevo n’obéit pas à cet ordre. Il se soustrait d’ailleurs régulièrement aux contrôles qui le ciblent.
Lors d’un contrôle ultérieur, les forces de police constatent que Stevo a tenté de frauder sur les timbres de ravitaillement. Il a essayé de s’en procurer à la fois à Damprémy et à Jodoigne. Sa carte de rationnement est saisie jusqu’à ce que l’administration lui octroie un nouveau document. Il est privé de timbres tant qu’il ne se met pas en ordre. Cette fois, il est contraint d’obtempérer.
Ces fraudes au ravitaillement sont fréquentes chez les nomades. Les restrictions de la liberté de mouvement et la crise économique entraînée par l’occupant leur laissent peu de choix. Empêchés de suivre leurs itinéraires habituels, ils sont privés de leurs moyens d’existence. Leur survie dépend de leur débrouillardise. Les autorités policières et communales les arrêtent régulièrement, mais les tribunaux ne mettent que peu de zèle à les poursuivre. Le 10 juillet 1942, Stevo Caroli obtient sa « carte de nomade ».
Le 23 novembre 1943, à Tournai, 19 personnes de la famille Karoli sont arrêtées par la Feldgendarmerie. Neuf roulottes, deux voitures, quinze chevaux et une mule sont saisis et mis à la disposition du bourgmestre. Stevo Caroli ne fait pas partie de ce groupe. Il est arrêté quelques semaines plus tard, alors que les siens ont déjà été déportés par le Transport Z du 15 janvier 1944.
Lors de son arrestation, le 3 mars 1944 à Bruxelles, Stevo est en possession d’une fausse carte d’identité au nom d’Eduard Cogai. Soupçonné de mener des activités antiallemandes, son cas est pris en charge par la section V de la Sipo-SD, la Kripo, la police criminelle chargée de la répression des crimes. Le jour même, le jeune homme est interné à la section allemande de la prison de Saint-Gilles.
À ce moment-là, la Kripo doute de l’identité d’Eduard Cogai, sur lequel une enquête est menée. Le 26 avril 1944, la section V conclut qu’Eduard Cogai et Stevo Caroli ne sont qu’une seule et même personne et confirme son appartenance à « 100 % à la ‘race tsigane’ ».
Le 10 mai, l’ordre est donné de procéder le plus rapidement possible à sa déportation. Livré à Malines le 15 mai 1944, il embarque à bord du transport XXV, enregistré sur un feuillet indépendant où figure un seul nom, le sien. Il y est clairement identifié comme Tsigane.
À l’arrivée à Auschwitz-Birkenau, Stevo Caroli, contrairement aux déportés juifs du Transport XXV, ne subit pas la sélection. Il est identifié par le tatouage Z 9 936 avant d’être envoyé au Zigeunerfamilienlager, le camp des familles tsiganes. Là, il retrouve son frère Zolo, déporté le 15 janvier 1944. Ce dernier lui apprend que ses parents et ses frères et sœurs Kalia, Charles, Marie, Régine, Lucienne ont été abattus par les nazis.
Transférés du camp de Birkenau avec d’autres Roms encore aptes au travail, Stevo Caroli et son frère Zolo arrivent le 3 août 1944 à Buchenwald. La situation dans le camp est catastrophique. La nourriture et l’eau manquent. Le lieu est surpeuplé, il n’y a plus d’espace dans les baraques. Les Tsiganes sont parqués dans des tentes. Stevo est rapidement déplacé tandis que Zolo, probablement trop affaibli, reste à Buchenwald. Il y meurt, fusillé, deux jours avant l’arrivée des troupes américaines.
Stevo Caroli est mis au travail forcé successivement à Dora, Ellrich et Bergen-Belsen. Là, il est libéré par les troupes britanniques au début du mois d’avril 1945. Rapatrié en Belgique par camion, le 27 avril par le centre de rapatriement de Mol, Stevo est immédiatement admis à l’hôpital de Tournai, puis à celui de Charleroi. Il souffre de maladies digestives typiques des survivants des camps de concentration.
Sorti de convalescence le 18 mai 1945, le lendemain, il retire sa nouvelle « carte de nomade » auprès des autorités belges. Ces autorités s’empressent alors de vérifier la concordance entre les empreintes digitales prises en 1945 et celles relevées en 1943.
En juin 1945, Stevo Caroli s’adresse à l’Oeuvre nationale des anciens combattants (ONAC) afin de percevoir la prime accordée aux déportés politiques. Le fonctionnaire chargé de sa requête émet son avis :
« Pour les nomades, qui n’ont pas de domicile dans une commune belge et dont le domicile fictif est l’Administration de la Police des Étrangers, j’estime qu’afin de leur permettre de toucher l’allocation à laquelle ils ont éventuellement droit, il appartient à la Police des Étrangers de leur délivrer une attestation, mentionnant qu’ils ont été déportés en Allemagne par l’Autorité allemande en 1943 ».
L’auteur de cette note souligne encore le grand dénuement dans lequel se trouvent les « nomades qui sont revenus d’Allemagne ».
Son supérieur hiérarchique se montre toutefois bien moins compréhensif :
« J’estime qu’il n’appartient pas à l’Administration de la Police des Étrangers de délivrer aux nomades, qui ont été déportés, non pour des motifs politiques ou faits patriotiques, mais pour des questions raciales, une attestation leur permettant de toucher la prime accordée aux déportés politiques ou travailleurs réfractaires belges ».
Par conséquent, la Police des étrangers déclare à l’ONAC qu’elle « ne peut certifier quand ni comment ni où le nomade Karoli, Stevo, né à Metz, le 26 août 1925, a été arrêté par les Allemands ». Les derniers documents dans le dossier personnel de Stevo Caroli datent de 1948. Il y est toujours question de l’impossibilité de déterminer la nationalité de l’intéressé, repoussé de France et des Pays-Bas lorsqu’il tente de quitter le territoire belge.
L’analyse de son dossier établi par la Police des étrangers permet de lever un coin du voile sur le traitement administratif qui est réservé aux demandes d’indemnités, de titre ou de statut de prisonnier politique introduites par les Tsiganes et montre qu’en cette matière aussi, ils sont encore moins bien lotis que les déportés juifs.