Aline et Jacques Klajn ont été déportés de la caserne Dossin le 24 octobre 1942. Âgés respectivement de six et cinq ans, ces enfants n’avaient aucune chance de survivre à leur déportation à Auschwitz-Birkenau. Quelques objets et quelques photographies de la famille Klajn-Berlinski ont échappé à la destruction dans des circonstances tout à fait particulières. Sans cela, il nous aurait été impossible un jour de pouvoir contempler leurs visages.
Leur maman, Idessa Berlinska, fait partie d’une fratrie de 8 enfants. Elle est née le 2 avril 1903 à Pabianice, dans la banlieue de Lodz. Les Juifs, dont de très nombreux hassidim, formaient un cinquième de la population de cette ville. L’industrie textile et les filatures étaient florissantes. De nombreux Juifs y étaient occupés. Mais dans la Pologne de Pilsudski [1926-1936], des lois restreignent fortement l’accès de la population juive à l’emploi et de virulentes campagnes gouvernementales antisémites poussent de nombreux Juifs à l’exil. En 1927, Idessa, qui exerçait la profession de brodeuse, émigre et s’installe à Bruxelles, où vivent déjà des membres de sa famille.
C’est vraisemblablement à Bruxelles qu’Idessa a rencontré Wigdor Klajn. Il est né à Sokolniki le 1er juillet 1905. En 1929, Wigdor quitte la Pologne pour s’établir en Belgique. Il espérait sans doute échapper à la crise économique et à la haine antisémite. À son arrivée, il déclare rechercher un emploi de confiseur en Belgique. Comme nombre d’immigrés juifs, il change fréquemment de domicile. Il a successivement résidé à Liège, dans la commune anversoise de Berchem, à Anderlecht et enfin, à Saint-Gilles.
Dans cette dernière commune, il habite Avenue du Roi, au numéro 21… où vit également Idessa. Le 26 novembre 1930, les deux jeunes gens se marient et s’installent Rue Van Lint, à Anderlecht. Idessa, sans profession, s’occupe de leur foyer. Wigdor gagne sa vie en enchaînant des boulots divers : ouvrier de fabrique, représentant de commerce, marchand ambulant, colporteur, chapelier… parfois sans payer les taxes inhérentes à ces occupations, comme le souligne la Sûreté publique dans son dossier de la Police des Étrangers. Une situation vécue par de nombreux immigrés juifs qui se débrouillent comme ils peuvent pour traverser la crise économique terrible des années ‘30. Idessa Berlinski complète parfois les revenus en travaillant comme brodeuse ou couturière.
Le 6 mai 1935, le premier enfant du couple, Aline, naît au domicile de ses parents. Un peu plus d’un an plus tard, le 27 mai 1936, naît Jacob David, que tout le monde nomme Jacques. Faire la biographie d’aussi jeunes enfants n’est pas chose aisée. Les archives ne donnent que peu de renseignements sur les moins de 15 ans. On ignore quelle école ils ont fréquentée, s’ils étaient de bons élèves, s’ils avaient beaucoup d’amis, ce qu’ils aimaient faire… Sans doute ont-ils fait leurs devoirs tour à tour sur ce petit bureau témoin d’un temps révolu, d’un monde disparu…
Le 20 octobre 1942, la Sipo-SD arrête Aline, Jacques et leurs parents. Emmenés à la caserne Dossin, ils sont déportés le 24 octobre 1942 à Auschwitz-Birkenau par le 15e Transport. Ils ont débarqué sur l’”Alte Judenrampe” le 26 octobre après un voyage harassant dans des wagons de voyageurs. À l’issue de la sélection, Idessa, 39 ans, Aline, 7 ans et Jacques, 6 ans, ont été directement assassinés dans l’une des chambres à gaz surnommées les maisons rouge ou blanche. On ignore le sort qu’a subi Wigdor. Âgé de 37 ans, a-t-il été sélectionné pour le travail ou a-t-il suivi sa chère famille dans la mort ? Là encore, les archives restent muettes. La seule chose qui est sûre est que lui non plus, n’a pas survécu.
Après l’arrestation de la famille Klajn-Berlinski, d’autres membres de la famille se sont cachés dans le logement inoccupé. Une folie, quand on pense que les logements soi-disant “abandonnés” par leurs occupants juifs étaient vidés de leur contenu par les hommes de la “Möbelaktion”. Wolf Blaugrund et son épouse, Cypra Gitla Berlinska, la soeur cadette d’Idessa, ont eu beaucoup de chance d’échapper à la déportation. Leur petite fille, Betti Blaugrund, née en 1942, a aussi survécu dans la clandestinité. Wolf et Cypra ont pris soin des affaires de leurs parents déportés, dont ce petit bureau qui a appartenu à Aline et Jacques Klajn. Betti Blaugrund a elle aussi préservé ce tragique héritage jusqu’en 2019, quand elle en a fait don à Kazerne Dossin.