Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1944

Sources

Laurence Schram

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L’anniversaire de la libération du SS-Sammellager für Juden, le camp SS de rassemblement pour Juifs, établi à Malines dès juillet 1942, attire peu l’attention. Peu des 548 Juifs et les 3 non-juifs encore présents à Dossin ont peu témoigné sur cette période.
Dès le 1er août 1944, lendemain du départ du transport XXVI, la Sipo-SD prévoit de mener une dernière grande rafle. Nul Juif ne doit être épargné.

En août, de nouvelles arrestations amènent plus de 160 nouveaux internés à Dossin.

Le 24 ou le 25 août, Anton Burger, l’émissaire spécial d’Adolf Eichmann, rejoint Bruxelles. Venu en juillet 1942 pour organiser la « Solution finale », il revient pour l’achever.

Le 25, Salomon Van den Berg, inquiet et lucide, note ceci dans son journal :
« Hier le Grand Rabbin, avec sa famille, [a] été arrêt[é] par la Gestapo, et j’ai reçu un sérieux avertissement d’une haute personnalité de me méfier et de ne plus dormir chez moi, ce que nous n’avons plus fait depuis ce jour. […] Cependant on est très inquiets, car le sieur Brugen [Burger] n’est pas venu ici pour rien. Il revient d’Athènes où, dit-il, il a réussi en 8 jours à rafler 5 000 Juifs et il voudrait faire la même chose ici comme coup final pour finir en beauté sans doute. »

Vers le 30 août, la Sipo-SD de Lille se replie à Malines. Les SS, tendus et inquiets, sont armés jusqu’aux dents : mitraillettes, fusils mitrailleurs, tanks… Les détenus juifs sont effrayés. Une nouvelle rumeur de déportation générale et de liquidation du camp de rassemblement se répand.

Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1944, vers 22 heures, les nazis quittent hâtivement la caserne Dossin, laissant les détenus livrés à eux-mêmes. Les troupes britanniques approchent. Les SS fuient.

Les portes de la caserne Dossin sont ouvertes…

Soulagés, surpris, les détenus manifestent leur joie, pleurent, rient, dansent, chantent, prient… mais le calme revient assez vite. Cette nuit-là, de nombreux détenus juifs restent au camp. Ils ont peur. Désemparés, ils ne savent où aller.

Quelques hommes s’affairent : des prisonniers sont toujours enfermés dans les cachots. et les SS ont emporté les clés. Plusieurs s’aventurent dehors juste après le départ des SS, mais ils reviennent rapidement. Beaucoup ne quittent Dossin que dans la journée du 4 septembre.

Dans la journée du 4 septembre, une petite délégation du CDJ et de l’AJB arrive au camp. Elle recense les Juifs restés à Dossin, distribuent de l’argent à quelques-uns d’entre eux et organisent leur transport par camion. Beaucoup n’attendent pas le 5 septembre et rentrent chez eux par leurs propres moyens.

À proprement parler, le camp n’a pas été libéré. Aucun soldat, aucun résistant n’a libéré les détenus de la caserne Dossin. 551 internés sont abandonnés, livrés à eux-mêmes par les SS sans qu’aucun combat n’ait eu lieu.

Enfin, la joie, les acclamations des Alliés, la fête de la Libération ne touchent pas les Juifs comme les autres citoyens. D’abord soulagés, ils sombrent rapidement dans le désarroi. Tous se posent les mêmes lancinantes questions : qu’est-il advenu des déportés, de leur famille, de leurs proches ? Où vont-ils aller alors que pour la plupart, ils n’ont plus de logement ? Comment vont-ils subsister alors qu’ils n’ont plus d’occupation professionnelle ? Comment vivre dans leur monde dévasté ?

Hélène Beer exprime ces sentiments mitigés :
« Ce soir-là, mon mari et moi assistons place Rogier dans l’immense déploiement de la foule en délire au défilé des chars et des armées alliées. On hurle, on acclame, on chante. J’éclate en sanglots. Le 27ième transport n’est pas parti, mais les autres, tous les autres… ».

Laurence Schram