Les Juifs, massivement réfugiés la clandestinité, parfois depuis des mois, sont plus ou moins rodés à ce mode de vie. En outre, ils trouvent de l’aide auprès de plus en plus de non-juifs, sentant le vent de la guerre tourner. La Sipo-SD et ses auxiliaires peinent à rassembler les Juifs en vue de leur déportation. Ce qui suscite le mécontentement de Berlin qui exige une intensification dans la chasse aux Juifs. En 45 jours, le Transport 25 est composé. Même s’il est peu peuplé, les efforts de la Sipo-SD ont été efficaces : la moyenne de onze entrées par jour double celle des entrées du transport précédent. En tout, 508 personnes embarquent à bord des wagons de marchandises. Huit pour cent des déportés sont des enfants de moins de 15 ans. Aucun déporté ne parvient à s’évader pendant le trajet de 3 jours.
Pour la première fois, un convoi de Malines s’arrête sur la Bahnrampe, la nouvelle rampe. La voie de chemin de fer a été prolongée de manière à traverser le camp de Birkenau, de son entrée principale jusqu’à quelques mètres des installations de gazage, les chambres à gaz-crématoires II et III. De part et d’autre, la Bahnrampe est bordée de barbelés, qui isolent le quai de débarquement des deux parties du camp de concentration. Cet aménagement a été réalisé en prévision de la déportation massive des Juifs de Hongrie. C’est sans doute l’image la plus connue de Birkenau.
Une fois les déportés du Transport 25 débarqués, les médecins SS opèrent la sélection. Les femmes et les enfants sont séparés des hommes. Ensuite, les SS choisissent les personnes aptes au travail qui sont admises dans le camp de concentration pour y être mises au travail forcé. Ce sont uniquement ces déportés-là qui sont tatoués. Les autres, jugés inaptes au travail ou simplement surnuméraires, sont immédiatement amenés dans les installations de gazage, où ils sont assassinés.
L’historien sait que pour établir le nombre des victimes gazées à l’issue de la sélection, il lui suffit de soustraire le nombre de déportés tatoués du nombre de ceux qui sont arrivés à destination. Et voilà que surgit une énigme.
L’examen des numéros attribués à l’arrivée à Auschwitz du convoi 25, le 21 mai 1944, révèle que 550 hommes ont été tatoués dans la série A-2546 bis A-3095. Or, seuls 256 hommes juifs ont embarqué à la caserne Dossin.
Autre bizarrerie : selon l’historienne du Musée d’Auschwitz-Birkenau, Danuta Czech, le 21 mai, 99 femmes déportées de Dossin sont tatouées des numéros A-5.143 à A-5.241. Or, des femmes rapatriées portent des numéros qui n’appartiennent pas à cette série. Le matricule de Léa Kunstler, née le 21 avril 1920 à Amsterdam est A-5.117. Gertrud Meyerstein, née le 9 septembre 1893 à Helmstedt, porte le numéro A-5.270.
Cette anomalie est-elle simplement le fruit d’une erreur lors de l’enregistrement ? ou existe-t-il une autre explication ?
L’élucidation de ce mystère nous mène aux Pays-Bas, par lesquels le Transport 25, déviant des trajets habituels, fait un crochet. Plusieurs survivants s’accordent sur le passage du convoi à Assen, à une vingtaine de kilomètres de Westerbork, où les deux trains sont joints.
Les déportés supplémentaires, 245 Roms et 453 Juifs, sont montés à bord d’un train dont le départ de Westerbork a été filmé. Sur ordre de Konrad Gemmecker, le commandant de Westerbork, Rudolf Werner Breslauer, réfugié juif allemand et photographe de renom, a dû réaliser un film de propagande pendant sa détention. Il y montre la vie quotidienne des internés jusqu’à leur départ du camp. Certains déportés apparaissant sur les images ont été identifiés, ce qui confirme la date du départ, le 19 mai 1944.
À l’arrivée sur la Bahnrampe, les 1 206 déportés de Dossin et ceux de Westerbork se confondent, quel que soit leur camp d’origine. Les SS de la « solution finale » divisent le groupe selon d’autres critères : 246 Roms, dont Stevo Caroli, le seul Rom du Transport 25, sont séparés des Juifs. Tous, hommes, femmes et enfants sont tatoués et entassés dans le Zigeunerfamilienlager, le camp des familles tsiganes.
Au contraire, les 960 déportés juifs subissent la sélection. Les médecins SS gardent pour le travail 550 hommes et 199 femmes. Ils sont tatoués indistinctement dans les mêmes séries de matricules : A-5.143 à A-5.341 pour les femmes et A-2.546 à A-3.095 pour les hommes. Ensuite, ils sont mis au travail dans le complexe concentrationnaire. Les autres, 211 personnes, surtout des vieillards, des enfants et des femmes, jugés inutiles par les SS, meurent dans les chambres à gaz de Birkenau.
Si l’on connaît désormais le nombre total des forçats et des Juifs gazés à l’arrivée, on ne pourra jamais établir les nombres respectifs des victimes parties de Dossin ou de celles envoyées de Westerbork. Par conséquent, les chiffres donnés concernant les forçats et les gazés du Transport 25 sont des estimations.
Le nombre de survivants du convoi de Malines est connu : 56 hommes, dont un Rom, 76 femmes et un garçon déporté à 9 ans. Que cet enfant ait été rapatrié est exceptionnel et surprenant. Il est le plus jeune des survivants de la déportation de Malines.
Les parcours des survivants sont très dispersés. Ravensbrück est le camp principal vers lequel sont évacuées les femmes d’Auschwitz-Birkenau. Elles sont 33 du Transport 25 à y être libérées. On retrouve aussi au moins 18 survivantes à Bergen-Belsen. Certaines y sont libérées, d’autres ont dû continuer les marches de la mort vers d’autres camps. Pour les hommes, 27 déportés du Transport 25 sont libérés à Dachau. Tous n’ont cependant pas emprunté le même itinéraire pour y arriver. Les autres sont libérés dans plus d’une vingtaine de camps ou Kommandos différents.
Le taux de mortalité de 74 %, même s’il est important, est inférieur à celui qui se dégage pour l’ensemble des transports qui l’ont devancé. Il semble que les tueurs SS se soient moins intéressés à ce transport peu peuplé, où les enfants et les vieillards sont de moins en moins nombreux. Les trains, qui arrivent massivement de Hongrie surchargés de femmes et d’enfants, sont alors au centre de leur attention.