Felix Nussbaum : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »

Felix Nussbaum, peintre exceptionnel et visionnaire, a vécu un parcours semblable à celui de milliers de Juifs du Reich, réfugiés, « ressortissants ennemis » et déportés de Belgique.  

Felix Nussbaum : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »
© Apic/Getty Images James Ensor, dans son atelier, Ostende, 1935

Felix Nussbaum et sa future épouse, Felka Platek, arrivent en février 1935 en Belgique. Après avoir vécu à Rome, à la Villa Massimo, résidence d’artistes, le couple renonce à rentrer à Berlin. La situation politique dramatique conjuguée à l’incendie sans doute intentionnel de l’atelier berlinois de Felix Nussbaum motive vraisemblablement cette décision. Felix Nussbaum s’établit à Ostende, où il se lie d’amitié avec James Ensor. Le style d’Ensor influence la peinture de Nussbaum.

 

 

 

Felix Nussbaum n’est pas reconnu comme réfugié politique. Il ne bénéficie que d’autorisations de séjour temporaire et découvre la précarité de son statut d’immigré non désiré. N’ayant pas le droit d’exercer un emploi en Belgique, il vit grâce au soutien de sa famille et à la vente occasionnelle de certaines toiles.

Felix Nussbaum : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »
© KD – Fonds Tzwern Dans l’atelier d’Ensor, le peintre chinois SaDji réalise le portrait de Felix Nussbaum

 

 

 

Dans l’atelier d’Ensor, Felix Nussbaum continue à peindre. Il participe à des expositions à Cologne et à Bruxelles. Il côtoie d’autres artistes, dont l’artiste chinois SaDji, venu en Belgique pour parfaire sa technique et étudier la peinture flamande.

© KD – Fonds Tzwern In het atelier van Ensor schildert de Chinese kunstenaar SaDji dit portret van Felix Nussbaum.
Felix Nussbaum : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »
© AGR-Police des Étrangers-Bruxelles Felka Platek, artiste et épouse de Felix Nussbaum

 

 

 

En 1937, Felix obtient une carte d’identité d’étranger et épouse Felka à Bruxelles. Grâce à l’appui du sculpteur Dolf Ledel, il participe à diverses expositions, notamment à Paris. La nature éminemment politique de son art lui attire de nombreux problèmes. Sa sensibilité le pousse vers le pessimisme, l’insécurité et le désespoir.

Le 10 mai 1940, jour de l’invasion de la Belgique par les troupes du Reich, les autorités belges procèdent à l’arrestation de plusieurs milliers de « suspects » (espions, intelligence avec l’ennemi, 5e colonne, communistes, activistes politiques, pronazis et Allemands aryens antifascistes, Juifs). La mesure préventive concerne 1 500 à 2 000 Belges, mais les cibles principales sont incontestablement quelque 4 000 à 4 500 Juifs du Reich, immigrés récemment.

© AGR-Police des Étrangers-Bruxelles Le rapport sur l’arrestation de Felix Nussbaum, « étranger de nationalité allemande », Bruxelles, 10 mai 1940
Felix Nussbaum : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »
Source : internet Carte de quelques camps d’internement du sud de la France

 

 

 

Les autorités belges ne tiennent aucun compte du fait que la plupart des ressortissants juifs du Reich ont fui le nazisme et les persécutions. Tous ceux qui sont listés comme des « ressortissants ennemis » sont sommés de se présenter aux autorités policières belges ou sont arrêtés. Le 10 mai, Felix Nussbaum et Felka Platek sont arrêtés. Felka est relâchée tandis que Felix est mis à la disposition de la Sûreté de l’État. Convoyé en France comme les autres « suspects », il est confié aux autorités françaises.

Felix Nussbaum : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »
© Felix-Nussbaum-Haus, Osnabrück Désespéré, Felix Nussbaum représente les conditions de vie misérables à Saint-Cyprien. À l’arrière-plan, des internés défèquent dans des tonneaux, Bruxelles, 1940

 

À l’issue d’un voyage terrible, Felix Nussbaum aboutit à Saint-Cyprien, dans le sud-ouest de la France. Ce camp a été érigé au début de 1939 pour les républicains espagnols. À l’origine, ce camp de fortune est composé de tentes dressées sur une plage. Avec l’arrivée des « étrangers de race juive », des baraquements sommaires en dur sont établis, quelque 7 500 détenus y sont entassés. Les conditions de vie y sont effroyables : surpopulation, épidémies, cachexie, absence totale d’hygiène, famine, arbitraire…

En août 1940, Felix Nussbaum sollicite son rapatriement en Allemagne. Curieusement, sa demande est acceptée. Profitant d’une halte dans une caserne de Bordeaux, il parvient à s’enfuir du convoi et rejoint Bruxelles. Il y retrouve son épouse et reprend la peinture.

Felix Nussbaum : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »
© Felix-Nussbaum-Haus, Osnabrück Autoportrait à la carte d’identité juive, Bruxelles, 1943

 

 


Felix et Felka subissent la législation antijuive : inscription au Registre des Juifs de Bruxelles, marquage de la carte d’identité par le cachet “Jood-Juif”, déchéance de la nationalité, saisie des avoirs des réfugiés juifs allemands au profit du IIIe Reich, affiliation forcée à l’Association des Juifs en Belgique (AJB). Felix Nussbaum illustre une fois encore sa condition de paria de la société.

L’artiste y apparaît stigmatisé par l’étoile jaune obligatoire, tenant sa carte d’identité frappée du cachet « Juif-Jood » à la main. Il est entouré de murs infranchissables surplombés par un ciel noir et menaçant. L’arbre en fleur, inaccessible symbole d’espoir, qui pointe timidement au-dessus du mur, n’est pas destiné à l’auteur.

Felix Nussbaum : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »
Source : internet Dolf Ledel, sculpteur engagé et ami de Felix Nussbaum

 

 

 

Après le début des déportations juives de Belgique, Felix Nussbaum quitte son atelier et passe dans la clandestinité. Il est hébergé jusqu’en mars 1943 par son ami Dolf Ledel. Mais Ledel décide de partir dans les Ardennes où la situation est plus sûre. Felix et Felka regagnent leur adresse initiale de la rue Archimède. Leur propriétaire y organise une cache dans le grenier. Provisoirement, ils échappent à la déportation.

Dénoncés, Felix et Felka sont arrêtés le 20 juin 1944 dans leur logement de la rue Archimède. Le lendemain, ils sont amenés à la caserne Dossin, le SS-Sammellager für Juden, où ils sont inscrits sur la liste de déportation du Transport XXVI, sous les numéros 284 et 285. Felix Nussbaum se rend quelquefois dans la Malerstube, l’atelier des peintres. Là, des artistes juifs confectionnent les cartons et les brassards des détenus. Quand le travail manque, les artistes détenus réalisent des portraits sur commande ou pour tuer le temps. Felix ne cesse pas de créer pendant les 7 semaines qu’il passe à Dossin. Felix Nussbaum vient à la Malerstube pour emprunter du matériel, mais il ne peint que dans sa chambrée. Rien ne lui remonte le moral.

L’une de ces artistes, Irène Spicker, se souvient de lui dans son témoignage « They’ll have to catch me first. An Artist’s Coming of Age in the Third Reich », p. 298. :

« Madame Rosenberg […] a attiré mon attention sur un homme mince, un nouveau venu dans nos rangs. Marchant silencieusement et laborieusement, ce nouveau prisonnier taciturne était le plus prestigieux artiste que je rencontrerais au camp.

– “Donne-lui du papier et prête-lui ta boîte d’aquarelles pour quelques jours, Irène, plaidait Madame Rosenberg, toujours soucieuse d’aider. Cet homme est Felix Nussbaum et il est originaire d’Allemagne comme toi. Son épouse espère que les peintures et une brosse pourraient le sortir de son abattement” »

Ce récit autobiographique d’Irene Awret-Spicker est un excellent témoignage sur la caserne Dossin et la Malerstube

Felix en Felka sont déportés ensemble par le Transport XXVI, le dernier à quitter la caserne Dossin le 31 juillet 1944. Le couple débarque le 2 août sur la Bahnrampe, à l’intérieur du camp de Birkenau. Un registre des malades du Block 21 d’Auschwitz prouve que Felix Nussbaum a été sélectionné pour le travail dans le complexe concentrationnaire d’Auschwitz. Il y a été identifié par le n° de matricule B-3.594. Le 20 septembre 1944, Felix Nussbaum est soigné dans cette infirmerie. Ce document porte le dernier signe de vie de l’artiste.

 

 

© Państwowe Muzeum Auschwitz-Birkenau w Oświęcimiu … et le registre sur lequel on trouve le dernier signe de vie de l’artiste Felix Nussbaum
Felix Nussbaum : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »
© Felix-Nussbaum-Haus, Osnabrück Le Triomphe de la Mort, Bruxelles, 18 avril 1944

 

 

 

Ni Felka Platek ni Felix Nussbaum n’ont survécu.

Lucide, les prémonitions de mort que Felix Nussbaum exprime dans ses œuvres depuis 1939 se sont avérées fondées. L’une de ses dernières toiles, « Le Triomphe de la Mort » symbolise la victoire du Mal sur le Bien, de l’Horreur sur la Beauté, de la Barbarie sur les Arts et la Science. La Mort, incarnée par une dizaine de squelettes, danse sur la Civilisation.

Felix a exprimé l’une de ses volontés comme suit : « Si je meurs, ne laissez pas mes peintures me suivre, mais montrez-les aux hommes »

Pour en savoir plus sur cet artiste méconnu et pourtant tellement talentueux :

Le musée Felix Nussbaum Haus à Osnabrück, ville natale de Felix Nussbaum, conserve l’essentiel de ses œuvres : https://www.museumsquartier-osnabrueck.de/

https://www.google.com/search?q=nathalie+Hazan+nussbaum&rlz=1C1GCEU_frBE820BE820&oq=nathalie+Hazan+nussbaum&aqs=chrome..69i57j33.9191j0j8&sourceid=chrome&ie=UTF-8

https://www.debezigebij.nl/boeken/orgelman-2/